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Brèves de voyage

Le jour où j’ai enterré mon père

25 août 2019

Tous ceux qui ont vécu la perte d’un de leurs parents imaginent bien ce que je vais raconter dans ce texte. Les funérailles ont un aspect délirant. Alors que nous venions d’assister au dernier souffle de mon père, le samedi 25 mai à 12h50, nous étions dans les bureaux des pompes funèbres le dimanche 26 mai à 10 heures.

Le sentiment de préparer une grande fête pour l’être aimé

C’est un peu perdu que nous nous asseyons sur les quatre chaises du bureau des pompes funèbres. Evidemment, je ne veux pas être là, mais en même temps, je veux bien faire les choses, nous voulons que tout soit parfait pour l’enterrement de papa. Derrière nous, les modèles de cercueil, intérieur et extérieur, ainsi que les urnes pour mettre les cendres. Nous passons la première heure à l’écriture de l’avis de décès. Nous réfléchissons avec le représentant des pompes funèbres, heureusement une connaissance de mon père, aux mots les plus adéquats. Au final, ça donnera ça.

Véronique Peteuil, son épouse ;
Nastasia et Andrew, 
Thibaut et Katy, 
ses enfants ;
Daniel Peteuil et Corinne, 
Patrick Peteuil et Brigitte,
Sandrine Boucher, 
ses frères et belles-sœurs ;
Robert Boucher, son beau-père ;
Céline, Claire, Audrey, Barbara, Jean-Baptiste et leurs conjoints, 
ses neveux et nièces ; 
ainsi que toute la famille et amis ont la tristesse de vous faire part du décès de

Didier PETEUIL dit « Teuil »

survenu le 25 mai à l’âge de 56 ans.

Didier repose au complexe funéraire, 10 rue de Pologne au Creusot.
La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 31 mai 2019 à dix heures trente 
en l’église de Couches. Ni fleurs, ni plaques mais des dons pourront être faits 
en faveur de la Ligue contre le cancer à la sortie de l’église.
La famille remercie l’ensemble du personnel soignant du service Hépato-Gastro-Entérologie du CHU de Dijon pour sa gentillesse et son dévouement.
Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements.

J’ai senti qu’on avait accompli au moins une bonne mission, celle de remercier les infirmières qui ont été là jusqu’au bout, mais aussi de demander aux proches et aux connaissances de mon père de nous aider à réunir de l’argent pour la Ligue contre le cancer, une putain de maladie qui a encore de beaux jours devant elle.

Après cet exercice dans mes cordes, l’écriture d’un texte, le représentant nous pointe du doigt le mur, derrière nous, pour commencer notre « shopping » funéraire. Si je n’avais pas déjà le sentiment que tout ça n’était pas réel, c’est à cet instant que j’ai cru que mon cerveau allait s’arrêter de fonctionner. Ma mère prend vite la décision de prendre le cercueil le plus onéreux, le plus beau. Pour l’intérieur, nous discutons des couleurs mais nous nous accordons tous à dire que le tissu bleu est parfait. Nous avions déjà choisi les habits de mon père, sa marinière préférée avec sa veste de motard en cuir. On s’est dit que l’ensemble fera joli. Irréel.

Très vite, on nous annonce que l’enterrement n’aura pas lieu avant le vendredi 31 mai, car jeudi, c’est l’ascension. Cela nous donne cinq jours pour organiser « la grande fête ». Trois mois après, j’aurais de la peine à raconter ce que l’on a fait chaque journée avant l’enterrement. Je sais que nous étions occupés. Nous nous sommes occupés avec des tâches pour l’enterrement chaque jour. Des petites tâches, pour ne pas penser à ce qu’il m’arrivait. Je me préparais à dire au revoir à mon père une 2e fois. Je n’ai pas versé une seule larme, cette semaine là. J’étais figée. Je répondais aux amies qui voulaient savoir quand et où, ou bien s’excuser pour ne pas pouvoir venir. Nous sommes passés chez le fleuriste. Puis encore aux pompes funèbres pour les derniers préparatifs. A la chambre funéraire pour voir comme ils avaient « arrangé » notre père. Choisir nos vêtements. Tout, rien. Irréel.

Le grand jour est arrivé

La veille, je suis allée voir un psychologue qui m’a grandement aidée à y voir clair pour aujourd’hui. Ce vendredi 31 mai, je sais ce que je dois faire. Cette fête, ce passage « obligé », ce n’est pas pour moi. Je n’y crois pas. Je ne vais pas dire au revoir à mon père, parce que je le sens encore autour de moi, autour de nous. Mais je m’y plie. Avant de partir, nous préparons les rafraîchissements et les amuse-bouches dans la cuisine. Je me suis déjà mis d’accord avec mes copines pour qu’elles viennent avant la fin de la cérémonie pour tout arranger sur la terrasse. Nous partons pour la chambre funéraire, à 20 minutes de l’église où la cérémonie aura lieu. Devant la chambre, une douzaine de motards attendent notre feu vert pour démarrer le cortège. Mon frère, davantage dans l’action, a eu la belle idée de faire un cortège de motos derrière le cercueil. Alors que nous pouvons enfin partir, mon coeur se serre. C’est beau. C’est beau de voir qu’ils sont là pour mon père. Nous ne sommes pas seuls, d’autres partagent notre peine.

A 10 heures, nous arrivons enfin sur le pavé de l’église. Nous sortons de la voiture pour commencer à saluer la famille. Il y a du monde, beaucoup de monde. Ca fait chaud au coeur. Sur ce morceau de Dire Straits, nous entamons la marche dans l’église pour aller nous asseoir sur le premier banc, à côté sur cercueil. Là, je remercie mon père pour avoir des bons goûts en musique. La journée va être assez glauque comme ça, au moins notre entrée aura été un peu rock and roll.

Nous avons organisé la cérémonie avec le diacre du village, une connaissance à ma mère cette fois-ci. Des textes, des musiques, choisis avec attention, toujours dans l’idée que cela devrait plaire à papa, la star de la journée. De mon côté, je mets à la poubelle le texte que j’avais écrit, pour me laisser le choix des mots, de suivre ce que mon coeur veut dire à l’assemblée, à mon père, lors de cette journée si spéciale.

En vérité, je me rappelle très peu mon discours. L’adrénaline mélangée à la tristesse et la peine me laissent dans le brouillard. Je sais que j’ai fait pleurer beaucoup de monde. Je sais que moi-même j’ai commencé à fondre en larme avant de me reprendre. Je sais que, ce que je voulais dire, c’est que bien que l’enterrement soit fait pour dire au revoir, moi je ne lui dirai jamais au revoir, parce qu’il sera toujours présent avec moi. Parce que j’aurais toujours des conversations avec lui dans ma tête, ou j’imaginerais ce qu’il me dira le jour où je me marie, le jour où j’aurai des enfants. Comment dire au revoir à quelqu’un dont on a encore besoin?

Après des bises mouillées, des mots de condoléances (aarh, qu’est ce que j’ai détesté ce mot cette semaine là), nous nous alignons devant la voiture qui va transporter le corps de mon père à la salle de crémation. Je n’oublierai jamais cette image. Ma mère, mon frère et moi étions devant le coffre qui transportait le cercueil. Une fois, les portes refermées, nos trois visages se reflétaient sur cette porte, avec en arrière plan le cercueil. Après m’être dit que ce sera une photographie à prendre, défaut de photographe, je me suis dit que c’était l’image de la dernière fois de nous, tous les quatre, ensemble. Une fois que la voiture a démarré, c’est là, à ce moment là, que j’ai senti un flot de larmes montées. Rien n’a pu les retenir. C’était trop. Irréel.

Lors de la cérémonie, on m’a demandé comment mon frère allait. Apparemment, il aurait davantage pleuré que nous. Chose qui me faisait doucement rire (« Bah oui, il a 27 ans et vient de perdre son père d’un putain de cancer, donc oui, il pleure« ), mais m’a aussi fait réfléchir sur l’image qu’on attend de nous. L’enterrement, n’est-il pas fait pour pleurer ensemble lors d’une journée? Pour partager notre peine avec des dizaines d’autres personnes? Ou alors est-ce que parce que mon frère est un homme, et que les hommes ne devraient pas pleurer autant? Moi ce jour-là, je l’ai trouvé bien plus fort que nous. J’aurais voulu comme lui pleurer davantage. Je me suis retenue car c’était l’acte social à faire. Lui, il a fait ce qu’il devait faire: pleurer toutes les larmes de son corps pour son père.

A midi, nous prenons un apéro dinatoire dans notre jardin, avant de repartir pour la chambre funéraire et la crémation. Je peux enfin saluer mes ami.e.s, venu.e.s parfois de plusieurs centaines de kilomètres pour être avec moi ce jour-là. Ils ont donné une toute autre lumière à ce jour si sombre. Je ne les remercierai jamais assez pour avoir été là pour moi, pour nous, pour me tenir la main.

Nous repartons pour cette journée sans fin à 14 heures, pour la crémation. C’est ici que nous disons adieu à l’enveloppe charnelle de mon père. Après la lecture d’un joli poème, ma mère, mon frère et moi nous avançons vers le cercueil avant qu’il se fasse désintégrer par les flammes. La journée commence à être longue, mais nous sommes toujours entourés. « Je ne suis pas seule. Ils sont avec nous », je me répète dans la tête.

A 17 heures, l’urne funéraire est scellée dans le cimetière. Nous y déposons nos fleurs. Il n’y a plus de corps, celui que j’avais accompagné jusqu’à la fin. Il n’y a que des cendres, scellées sous terre. C’est ici que nous devons maintenant venir pour s’occuper de notre papa.

Notre dernier voyage ensembleLes aidants, des putains de héros Le bel hommage de notre journal local pour mon père à lire ici.

1 Comment

  • Reply C'est le destin, disait-il 25 mai 2020 at 14 h 33 min

    […] ami du deuil ⎮ Le déni, l’outil indispensable pour survivre un deuil ⎮ Le jour où j’ai enterré mon père ⎮ Notre dernier voyage ensemble ⎮ Les aidants, des putains de […]

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