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Brèves de voyage

Les aidants, des putains de héros

1 août 2019
Photo de famille à Monterey

On ne le dira jamais assez, ceux que l’on appelle « les aidants » dans le jargon médical, portent leur être aimé et malade jusqu’au bout, de toutes leurs forces. Cela en fait des putains de héros.

Pour la fin de vie de mon père, nous avons passé deux semaines à l’hôpital. Mais cela faisait déjà plusieurs semaines que ma mère portait mon père à bout de bras. Quand il a commencé à faiblir à partir d’avril, j’ai vu ma maman commencé à s’organiser : sortir plus tôt du boulot, aller vite faire des emplettes pour ne pas rester trop longtemps à l’extérieur. Mais surtout, affronter mentalement la situation, la maladie qui prend de plus en plus de place.

C’est là que je me suis posée la question : « Mais comment est-ce qu’elle fait ». Je pleurais dès que je n’étais pas avec mon père. Plus tard, elle me répondit « je faisais ». J’ai compris alors, que lorsqu’on a pas le choix, on fait. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle fait partie de ces héros de tous les jours. Le moindre geste, pendant plus de 8 semaines, auront été pour mon père et son bien-être, ou du moins ce qu’il en restait.

En tout, ma mère a dû passer pas loin de 200 heures à l’hôpital sur une période de deux semaines. Accompagner une personne en fin de vie, c’est se raccrocher à tous les mots que la personne peut dire. Tout votre monde tourne autour du nombre de verres bus, de la quantité de nourriture mangée, du niveau d’urine dans la poche.

Je me souviendrai toujours de l’odeur de l’hôpital. Un mélange de désinfectant, de bouffe réchauffé, de renfermé. Que ce soit dans 10, 20 ou 30 ans, je reconnaîtrais cette odeur, associée à la mort. Une odeur de mort. C’est dans cette odeur là que nous avons vécu. Quand je suis arrivée, nous avons mis en place une tournée simple : Thibaut et moi, avec nos conjoints la journée, ma mère la nuit.

La première fois que j’ai observé mon frère nourrir mon père, mon cerveau s’est brutalement arrêté. Pourquoi, à 27 ans, est-il forcé de nourrir son propre père. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le protéger de ça. Mais quelle force il a, de faire ce geste naturel, sans vaciller. Quelle fierté de voir mon petit frère qui a bien grandi, prendre ses responsibilités. Il ne le sait pas mais ça fait de lui un héros de tous les jours.

Après deux mois et le certain recul que l’on commence à avoir, je me repasse les images dans la tête et je nous regarde, nous organiser, parce que dans ces moments-là, pour ne pas penser à ce qui arrive, à la chose terrible qui nous arrive, on baisse la tête et on fonce. On se donne des petites tâches quotidiennes pour aider mon père, parce que si on arrête, on coule, on sombre, on se noit dans la noirceur de la situation.

Etre aidant, c’est aussi assurer les visites des autres membres de la famille et des amis. A l’hôpital, on organise les passages, mon frère et moi, pour qu’il n’y est pas trop de monde dans la chambre. On mène les conversations malgré les incomforts de certains, choqués par la maigreur de mon père, son visage changé, son corps en train de le lâcher. On rappelle que mon père écoute, qu’il est conscient, et donc qu’il faut parler de choses de tous les jours. On en profite aussi pour sortir de la chambre, mon frère ou moi, pour prendre de l’air à l’extérieur, entre deux pots de fleurs, les yeux dans la vague, se demandant ce qu’il se passe.

Je n’oublie pas les aidants des aidants. Ma tante et mes cousin.e.s qui venaient aussi pour nous, pour que l’on ne se retrouve pas seul à affronter notre drame. Les bonbons et les biscuits pour que l’on mange. Ils avaient bien vu qu’on avait bien maigri avec ma mère. Pendant deux semaines, l’appétit nous avait quitté. On nous forçait à manger. Une de mes meilleures amies est venue nous voir dans le café de l’hopital. Ca m’a fait un bien fou, de voir son visage amical dans cet endroit affreux. Je n’avais pas encore de mots, pour décrire ce que je ressentais, mais elle a su deviner et exprimer tous ce qui tournait dans ma tête .

Notre moment le plus héroïque, ça aurait été de prendre la décision de passer mon père sous morphine, sachant qu’il dormirait bien plus, que la communication sera complétement coupée. C’était le samedi 25 mai. L’interne nous a pris à part, ma mère et moi, pour nous parler. On a eu *la* conversation.

Il nous annonce que c’est la fin de la fin. Avec ma mère, les larmes plein les yeux, on demande d’une seule et même voix qu’il ne souffre pas. Que surtout, il ne faut pas qu’il souffre. Ca faisait déjà bien trop longtemps qu’il avait mal. Il faut qu’il parte. Qu’il se libère de ce corps qui lui fait tant mal.

Pendant deux semaines, tous les soirs, nous rentrions à la maison, allumions la télé, et écoutions les derniers rebondissements de l’affaire Vincent Lambert. Ces parents ne voulaient pas le lâcher. Nous, tout ce que nous souhaitions, c’est que notre père trouve la paix, et retrouve sa mère et son père. Alors on était des putains de héroïnes, à ce moment là, pour demander à ce que l’on passe sous morphine. Nous, on l’aurait gardé le plus longtemps possible. Mais lui, quand ma mère lui a demandé ce qui n’allait pas, il a répond « tout ». Son dernier mot. On a compris le message.

Dans le cerveau, tu as des messages contradictoires. Oui, il faut le laisser partir. Et non, par pitié non, ca ne peut pas être la fin. Je ne peux plus le voir souffrir. Mais pourquoi est-on obligé d’accepter la situation, il y a peut-être une autre solution. La meilleure décision, c’est celle de laisser la vie suivre le cours de la mort. C’est la faute du médecin, il n’a pas tout fait pour éviter que l’on en arrive là.

Selon le Larousse, un héro est une « personne qui se distingue par sa bravoure, ses mérites exceptionnels ». Mon père s’est battu pendant plus de 20 mois contre la maladie. Ma mère, mon frère et moi, on a été là, jusqu’au bout, pour qu’il ne parte pas seul. On s’est protégé les uns les autres. Mon père a brandi un bouclier pendant 20 mois pour que l’on ne souffre pas trop dans la situation. On a essayé de faire de même pendant ces deux semaines à l’hôpital. Une famille de putain de héros.


Notre dernier voyage ensemble

Le bel hommage de notre journal local pour mon père à lire ici.

2 Comments

  • Reply Sandrine BOUCHER 1 août 2019 at 17 h 43 min

    Très émouvant. Et oui vous êtes des putain de héros !!!

    • Reply Nastasia 2 août 2019 at 1 h 50 min

      Merci <3

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